la carte de l’épidémie révèle les fractures sociales, économiques et territoriales

Publié le par FSC

 

Nous avons cherché à identifier les facteurs socio-économiques locaux, déjà bien documentés, susceptibles d’expliquer la prévalence et la mortalité liée à la maladie. La concentration géographique nous a amenés à regarder les disparités entre régions. La carte du coronavirus nous a interpellés, car elle nous a rappelé d’autres cartes, en lien avec d’autres variables, notamment socio-économiques et territoriales.

S’intéresser à la dimension socio-économique locale de l’épidémie permet d’en mieux comprendre les vecteurs de propagation. D’abord parce que les différences d’un territoire à l’autre en matière de santé ou de maladie sont de plus en plus souvent pointées. Ensuite, car l’organisation du système de santé est territorialisée depuis la loi portant réforme de l’hôpital.

La publication en ligne des données sur la répartition géographique du nombre de cas de Covid-19 nécessitant une hospitalisation et du nombre de décès liés à ce virus (ministère des Solidarités et de la Santé) ainsi que celles des décès quotidiens à l’hôpital (Insee) a permis de dresser le portrait des départements français. Pour ce faire, nous avons mobilisé des techniques d’analyse spatiale permettant de repérer les groupes de départements particulièrement touchés ou épargnés et d’isoler les facteurs explicatifs pertinents, une fois pris en compte ces effets de contagion liés à la proximité spatiale.

Afin de comprendre l’intensité du Covid-19 et ses conséquences sur la mortalité au sein de chaque département d’une part et sa diffusion spatiale de l’autre, nous nous sommes penchés sur trois variables : les déterminants économiques (l’écart entre les 10 % des revenus les plus faibles et les 10 % des revenus les plus élevés), les déterminants démographiques (la densité de population au km2, la part des ouvriers dans la population totale) et les déterminants liés au cadre de vie (la part des résidences secondaires, le nombre de services d’urgences, tout en faisant une distinction entre départements urbains et ruraux).

Alors que toute la France a été confinée de la même façon, les différences d’ampleur de l’épidémie sont territorialement très marquées. Les résultats mettent en évidence le rôle de la densité, comme attendu. Les inégalités sociales jouent également un rôle. Le taux d’hospitalisation est ainsi significativement corrélé à la part des ouvriers dans la population active, qui va de 3,7 % à Paris à 14 % dans la Mayenne. Cela confirme le risque d’exposition accru de cette catégorie sociale (conducteurs des systèmes de transport, livreurs, services de voirie et de nettoyage dans la fonction publique territoriale, réparations d’urgence dans les industries de réseaux, etc.) en raison des moindres possibilités de pratique du télétravail et de leur participation plus élevée aux plans de continuité d’activité mis en œuvre dès le début du confinement.

En effet, le nombre de services d’urgences exerce une influence significative négative sur le taux d’hospitalisation, semblant ainsi confirmer qu’une bonne prise en charge médicale permet de réduire le risque d’évolution dangereuse de la maladie. Notre constat, c’est que les départements les plus denses, les plus inégalitaires ainsi que ceux dans lesquels la part d’ouvriers est la plus élevée sont les plus vulnérables. Ces caractéristiques soulignent la complémentarité nécessaire entre les politiques de santé d’une part et les politiques sociales et de redistribution de l’autre.

Le rôle des services d’urgences comme facteur de réduction des manifestations de l’épidémie va dans le même sens. Il montre en effet qu’en présence d’inégalités les services publics, en l’occurrence de santé, permettent de protéger les populations de la maladie et de réduire les décès. Dans cette épidémie, les départements ruraux sont relativement épargnés par rapport aux départements métropolitains qui présentent aussi des faiblesses au niveau de la prise en charge des malades.

Ces conclusions vont dans le sens d’une régionalisation poussée de la mise en œuvre des politiques de santé. Menées au plus près des territoires, ces dernières peuvent en effet être en mesure de mieux prendre en considération les effets de proximité géographique et socio-économique qui prévalent au niveau de leur périmètre d’action et, ainsi, être mieux à même d’affecter les ressources humaines et financières. C’est une question très politique.

Aujourd’hui, quand on regarde les annexes au projet de loi de finances, on voit d’un côté des politiques d’activation du marché du travail et de soutien à l’emploi, et de l’autre des politiques de santé. Chaque mission est analysée verticalement. Nous disons, nous, qu’il y a un problème de connectique. Il faudrait plutôt regarder horizontalement, essayer de « chaîner » les politiques publiques pour avoir une cohérence entre santé, éducation, emploi, etc., afin d’éviter les disparités sociales.

Nous avons travaillé à l’échelle des départements. On aimerait poursuivre sur des zones plus restreintes. Pour cela, nous attendons les données des communes, des établissements publics de coopération intercommunale. On travaille également à l’échelle européenne. Quand on regarde les cartes de l’Union européenne de diffusion du virus, on s’aperçoit qu’on a les mêmes structures clustérisées. Toutes les régions européennes ne sont pas touchées de la même manière, mais on retrouve les mêmes disparités spatiales. On voudrait donc comparer les marqueurs socio-économiques. Mais, pour cela, nous sommes tributaires du temps.

Notre étude s’est penchée sur les données des mois de mars, avril et mai. Il va falloir intégrer la dimension temporelle, voir si les pays au départ faiblement touchés l’ont été ou le seront plus tard. Le temps de la recherche n’est pas celui du politique.

alexandra.chaignon@humanite.fr

par  Alexandra Chaignon ,
 

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