Se défendre face aux abus policiers de verbalisation en lien avec l'autorisation de déplacement dérogatoire
Le professeur émérite de droit Marcel MONIN
Attestation de déplacement dérogatoire ( interrogations sur …)
Le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 qui encadre les sorties donne l’occasion à certains policiers ou à certains gendarmes, de faire jouer à plein leur imagination ou leur humeur du jour. Comme les mésaventures arrivées à certains citoyens le montrent :
- 135 € parce sur le chemin de retour de son travail un salarié s’est arrêté sur le parking du magasin de bricolage, installé sur le bord de la route empruntée, pour retirer une commande effectuée par internet ;
- 135 € parce qu’une dame n’a acheté qu’une baguette de pain, alors qu’elle aurait du, selon le gendarme, en acheter 4 et en mettre 3 au congélateur,
- 135 € parce qu’un citoyen a fait ses courses au magasin « Leclerc » situé à 7 km de chez lui, alors qu’il avait un « Intermarché » à 5 km de chez lui
etc…
Dans un pays où les gouvernants ne pensent pas à tout, au moins pas au même moment (les masques sont inutiles, puis sont utiles, puis quand ils sont jugés utiles, on ne juge pas nécessaire de demander à quiconque d’en porter dans la rue, là où l’on donne et attrape le virus) il est bien normal que les forces de l’ordre pensent à la place de l’élite, …
Dans cette sympathique pagaille, les personnes verbalisées seraient bien inspirés, de mon point de vue, d’invoquer l’illégalité du décret, pour empêcher le juge d’entrer en voie de condamnation.
Le juge pénal est en effet compétent pour apprécier la légalité des décisions administratives avant d’entrer en voie de condamnation. C’est l’article 111-5 du code pénal (qui s’aligne sur la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation … : Cass. crim., 21 décembre 1961, dame Le Roux) qui le prévoit,
Il nous apparaît que certains principes ont été quelque peu oubliés par les auteurs du décret précités. Violations qu’il faudrait soulever devant le juge.
1/
Le principe de la légalité des délits et des peines. Qui veut que les actes susceptibles d’être sanctionnés pénalement soit préalablement définis. C’est un vieux principe hérité de 1789 (art. 5 et 8 de la DDHC) . Rappelé par l’article 111-3 du code pénal.
Or, évidemment, le décret du 23 mars 2020 ne respecte pas tellement cette obligation.
- Déplacements entre le lieu de travail et le domicile : qui a dit que l’arrêt en cours de route pour acheter une salade ou retirer des joints de robinets commandés par internet pouvait tomber sous le coup de la loi ?
- déplacements pour effectuer des achats de première nécessité : qui dit que ce doit être dans le magasin le plus proche ? qui dit que qu’une salade est plus un produit de première nécessité qu’un paquet de pain de mie ? Qui dit qu’on est pas allé acheter des produits de première nécessité dans un supermarché qui vend de tout, lorsqu’on en sort avec 50 € d’alimentation, plus une bouteille de whisky et un ours en peluche par dessus le marché . Au fait la tarte aux pommes qu’on a achetée, c’est un produit de première nécessité ?
- consultation et soins des patients atteints d’une affection de longue durée : le gendarme doit nécessairement avoir accès au dossier médical, qui comme chacun sait, est en libre accès, et doit être produit à tout contrôle de police…
- déplacement pour motif familial impérieux : un père va voir sa fille qui fait une crise de dépression, ou n’arrive pas à faire entendre raison à son propre fils… qui dit que c’est bien impérieux ?
- déplacements brefs … d’une heure … à l’exclusion de toute proximité avec d’autres personnes : en dessous de combien de mètres y-a-t- il proximité ?
En laissant aux fonctionnaires de police et aux gendarmes, le soin de compléter la loi, au gré de leur fantaisie locale ou individuelle, le décret méconnait manifestement le principe ci-dessus rappelé.
2/
Le principe de la légalité des délits et des peines, se double d’un autre principe. Qui est celui de l’interprétation stricte de la loi pénale.
Principe qui n’est pas forcément connu des joueurs de carte, ou des « spécialistes justice » des chaînes de télévision. Mais qu’on trouve à divers endroits. Par exemple dans l’article 7 de la CESLDH (convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et droits de l’homme), ou dans l’article 111-4 du code pénal. Sans parler de la jurisprudence, notamment de la CEDH, qui rappelle qu’avant d’être puni, le citoyen doit savoir clairement ce qu’il est mal de faire.
Ce qui n’est pas tellement le cas au moment où policier / gendarme verbalisateur demande à voir « l’attestation de déplacement dérogatoire ».
MMM